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QUAND LA PEINTURE FAIT LE MUR
par Valentine Oncins (1)

Pour Richard Meier qui fait référence à Frank Stella, la peinture est porteuse d'un renouvellement de la perception spatiale. L'architecte travaille souvent avec le peintre. Des couples se sont constitués: Jean Nouvel et Daniel Buren, Jean Perrottet et Pierre Buraglio, Paul Chemetov et Paul Foujino.


Si l'on tente d'expliquer la concordance entre ces deux démarches, l'une individuelle, celle du peintre, l'autre, celle de l'architecte, collective, les réponses peuvent en apparence n'être suivies que par des points d'intérrogation:
Est-ce une coïncidence simplement historique, conséquence du contexte des années 60/70, avec l'urgence de la construction et la banalisation de l'art abstrait?
Est-ce le principe d'analogie de leurs vocabulaires de formes et de couleurs, ou une correspondance heureuse entre l'usage des matériaux et ce que Cézanne appelait "la logique constructive", en parlant de ses tableaux?
Et cependant il existe des différences fondamentales entre l'architecture et la peinture , dans leurs finalités, leurs usages et leurs spatialités.

Pour sa première réalisation avec l'A.U.A en 1965, Paul Foujino se vit confier le traitement de deux cloisons d'une salle commune de foyer à Romainville.
Divisant l'espace, elles guident le regard en perspective pour réaliser ce rêve, ancien et moderne, du tableau et du mur devenus "parois de verre". Ces cloisons posent les articulations du vide et du plein, de la matérialité et de la dématérialisation, de l'intervalle dans son sens éthymologique d'entre-deux, mais aussi de l'opacité et de la transparence. Ainsi Paul Chemetov déclare:"Remplacer un mur entier par une valeur picturale, c'est nier le mur en tant qu'opacité, c'est découper une fenêtre qui ne regarde pas dehors, mais qui regarde la peinture". Il y a dans cet exemple une mise en abyme du regard, une double vue du peintre et de l'architecte.
Recto-verso de ces cloisons, sont découpées des formes, symétriquement identiques, faisant s'apparenter le mur à une feuille de papier calque ou à un tissu transparent, comme celui des maisons japonaises. Le vide de la cloison ressemble à une fente à la Fontana, à une échancrure, à un pli.
"Le brutalisme dont notre architecture est issue a beaucoup de sources japonaises, dit J. Deroche. Il y a là une clé. L'architecture japonaise nous influence directement, par le béton, la structure montrée. Il y a une parenté philosophique, elle doit exister".

Très proche de ces cloisons est le mur d'entrée du C.A.S de vigneux, créé par Foujino en 1968 avec l'A.U.A. Une réalisation plus proche encore de sa série de papiers découpés, technique où le gestuel précède l'assemblage et la composition, où il est secondé par un art de la combinatoire, dans une esthétique de strates.
Jean Perrottet dit : "Je suis sensible à la technique des papiers découpés parce que j'aime les limites nettes. Là je les trouve. Il y a un travail entre couleurs et formes qui est un équilibre savant. Ce n'est pas spontané ni improvisé. C'est pourquoi sa peinture est déjà une architecture , même si elle a son autonomie.Il savait très bien mesurer l'espace.
Paul Chemetov ajoue:"Le côté déterminé de Paul Foujino me mettait dans un climat d'assemblage. Le problème d'assemblage est fondamental pour moi. A travers l'assemblage, il y a le filtre, la censure, le code."

Une autre condition de cette entente est d'ordre institutionnel, dans la mesure où ce travail commun ne se situa pas dans le cadre du 1 %. Cela permit à l'œuvre d'échapper à la commande qui parfois suscite la contrainte d'une intervention artistique plaquée artificiellement a posteriori du projet architectural. Paul Chemetov rappelle: "Je faisais passer le travail de Foujino dans le prix du gros œuvre. Quand c'était fini, les municipalités découvraient une œuvre d'art, de plus, gratuite... Les projets faits dans les années 70 étaient totalement artisanaux. Du fait l'arrivée des entreprises générales, la maîtrise des chantiers échappe aujourd'hui à l'architecte".

Dans le cas de la commande publique, l'œuvre artistique est "signe de l'institution" (Richard Serra), alors que celle de Paul Foujino est signe d'un ouvrage, parmi d'autres ouvrages de la construction. Cela est visible pour sa réalisation au stade nautique de Châtillon Malakoff en 1972.
Son intervention dans le traitement de l'entrée, escalier, murs, auvent, trottoir, relie le bâtiment à la ville. J. Deroche précise: "Ce bâtiment étant par essence un volume fermé, on a beaucoup travaillé sur les éléments d'accompagnement pour prolonger le bâtiment au-delà de ses limites. Le travail de Foujino a servi de prolongement au bâtiment". Cette intervention, plus englobante et environnante, souligne la fonction du bâtiment de multiples façons: d'abord par le choix des couleurs aquatiques du carrelage (bleu et vert), par la mobilité et la fragilité créée par les bords hachurés des carreaux, bords aussi accidentés que ceux d'un papier déchiré, par le recouvrement partiel du béton par le carrelage qui paraît ainsi imiter le mouvement des vagues, enfin par ce jeu des motifs qui reflètent certains éléments architecturaux comme par exemple ces triangles en écho des montants triangulaires de l'auvent. Comme s'il s'agissait d'interpréter, de traduire autrement ce qu'est une piscine tout en s'ajustant à l'espace donné. Autre exemple: la grille d'évacuation de l'entrée est située au point de fuite des lignes directrices du carrelage. Quant à la pataugeoire, avec un sol en relief elle se transforme en une carte géographique qui rappelle qu'au Japon, le jardin est une métaphore de la mer où les pierres doivent évoquer le large.
Les matériaux retenus sont bien-sûr un des points majeurs de cette concordance entre Paul Foujino et l'A.U.A. J. Deroche précise: "Foujino a toujours travaillé avec des matériaux pauvres du béton, des grès-céram qui sont des matériaux H.L.M.". Pour Jean Perrottet, les matériaux naturels sont la solution à la présence de la couleur en architecture. Dans la relation peinture / architecture, la couleur est un facteur d'antagonisme, de nuisance ou de fusion unitaire. La couleur peut être conflictuelle comme dans le duel verbal de Fernand Léger et de Le Corbusier.
F. Léger interpelle l'architecte en ces termes: "De quel droit avez-vous distribué la couleur? De quel droit? L'époque spécialisée vous condamne. Il fallait tenir le contrat d'association entre nous trois: le mur, vous et moi. Pourquoi l'avez-vous rompu?"
Et Le Corbusier d'affirmer: "La couleur entrera-t-elle dans l'architecture par l'intervention de l'artiste peintre? Nullement. L'artiste peintre n'apporte pas de masses de couleur suffisament compactes. Il disqualifie plutôt le mur, le fait plutôt éclater, exploser, lui enlevant son existence même."

Ceci ouvre tout un questionnement sur l'art monumental, ornement ou perturbation, sur la peinture qui, sortie de l'atelier, s'expose en devenant publique, surimposant à une expérience esthétique, une fonction de réorganisation de l'espace.

S'il est vrai que la peinture "rend visible" et que l'architecture rend vivable", l'artiste et l'architecte visent et captent tous deux un espace. C'est ce qu'exprimait Paul Foujino quand il disait: "Mon idéal est d'animer l'espace ou le volume, souvent géométrique, du cadre architectural en lui apportant l'expression du souffle de la vie par les compositions de formes libres qui font sentir la main de l'homme."

(1) - Valentine Oncins est l'auteur du livre Paul Foujino - éditions Tarabuste
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